« SANTE MENTALE : COMMENT ACCOMPAGNER NOS COLLABORATEURS ET NOS CLIENTS MALGRE LE TABOU ? » – synthèse du petit-déjeuner du 24 janvier 2023

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Les troubles psychologiques sont la 2ème cause des arrêts maladie en 2022 (*) et la crise Covid n’a rien arrangé. Mais aborder son état de santé mentale est encore plus tabou dans les entreprises que dans la sphère privée. A tel point que les salariés concernés préfèreraient être accompagnés par un chatbot que d’en parler à leur manager. Quelle est la situation aujourd’hui ? Quels sont les outils à la disposition des entreprises et des managers ? Comment faire reculer ce tabou pour une meilleure santé pour tous ?

Fanny Jacq apporte son éclairage. Médecin psychiatre, Fanny est engagée depuis de nombreuses années dans l’amélioration de la santé mentale au travail. Elle a fondé Doctopsy et Mon Sherpa en 2016, plateformes dédiées à la digitalisation de la santé mentale. Elle a été directrice de la santé mentale de Qare et Health Hero. Aujourd’hui, elle est senior medical officer de Resilience.

 

1/ La maladie mentale est un sujet tabou en entreprise

  • En entreprise, on ne parle pas de « la santé de sa cellule » pour une maladie comme le cancer. En revanche, « santé mentale » est préférée à « maladie mentale ». Même l’utilisation des termes montre l’étendue du tabou, encore plus forte que dans le reste de la Société. Certains employés préfèrent indiquer qu’ils ont rendez-vous chez le coiffeur que chez leur psy. La digitalisation des services permet aujourd’hui de mettre à leur disposition des applications pour prévenir les troubles du sommeil, l’anxiété, le burn out ou la dépression via la pratique d’activités adaptées. Les DRH peuvent les proposer à leurs collaborateurs.
  • La santé mentale est définie par l’Organisation Mondiale de la Santé comme « un état de bien-être qui permet à chacun de réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ».

 

2/ Le phénomène massif des troubles psy

  • 1 personne sur 5 est touchée chaque année par un trouble psy, soit 13 millions de Français ! En 2022, 1 salarié sur 2 déclare éprouver une difficulté psy, selon le sondage Alan x Harris Interactive. Un chiffre qui atteint même 60 % chez les jeunes salariés de 18-24 ans. Pendant la crise sanitaire, 2,5 millions de Français étaient en burnout.
  • Selon l’étude Mooncard – Ifop, la charge mentale des cadres est encore quasiment identique aujourd’hui à celle ressentie lors de la crise du Covid. Cette charge mentale est mesurée par un indice. Il atteint 4,5 /10 (vs 4,6 en 2021) alors que l’indice est jugé élevé à partir de 3.
  • 22 % des arrêts longs en entreprises sont liés à des troubles psy ou une grande fatigue
  • 76 % des salariés estiment que l’employeur est le garant de la santé mentale de ses collaborateurs, alors que 68 % des managers ne s’en sentent pas responsables
  • Seuls 22 % des salariés considèrent être suffisamment informés pour réagir face à une attaque de panique ou crise suicidaire d’un de leur collègue.
  • 66% aimeraient en apprendre davantage sur les différentes maladies mentales et psychiques.
  • Les pathologies mentales représentent la première cause d’arrêts maladie de longue durée en France, ainsi que la première cause d’invalidité. Nous estimons le coût annuel du mal-être au travail à 13 340€ par salarié concerné par an (principalement représentés par l’absentéisme dans les entreprises et la baisse de productivité afférente). En ajoutant les dépenses liées au remboursement des soins, nous estimons que le coût direct et indirect des pathologies mentales est compris entre 14 526€ (pour un travailleur suivant uniquement un traitement à base de psychotropes) et 19 752€ (pour un travailleur concerné par une pathologie psychiatrique). Un coût élevé, auquel il faut ajouter les effets non mesurés pour les aidants, qui voient leur vie quotidienne professionnelle et personnelle fortement impactée de manière indirecte par ces pathologies. En intégrant l’impact associé à la perte de qualité de vie pour les malades, les pathologies mentales engendreraient ainsi une perte de PIB estimée à 92 milliards d’euros (3,7% du PIB) pour la France et des pertes estimées à 25 milliards d’euros par an (1% du PIB) pour les entreprises. Chaque année, c’est ainsi l’équivalent des budgets de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche qui sont perdus, à cause des défaillances en matière de détection, de suivi et de traitement des pathologies mentales.

 

3/Les entreprises doivent prendre en compte les situations de fragilité individuelle

  • En 2021, les employeurs ont pris au sérieux le sujet des risques psychosociaux, en conduisant des tests et des expérimentations multiples pour améliorer les conditions de travail, le soufflé est en train de retomber. Un effet du « mentalwashing » lié au Covid ? Une baisse des demandes ou un arrêt des souscriptions d’aide psy en B2B ont été constatées, dès 2022. Peu d’entreprises s’emparent du sujet en profondeur. Savoir animer le collectif de travail ne suffit pas à prendre soin de l’individu. Il faut déterminer l’objectif recherché : une meilleure cohésion d’équipe ? La bonne santé physique des collaborateurs ?  Ou la prévention de l’apparition de risques psychosociaux ? La mise place de solutions collectives, certes potentiellement positives, ne suffit pas à tenir compte des situations individuelles. Parent, aidant familial, porteur d’un handicap, ou simplement en télétravail : chaque actif peut être sujet à un trouble particulier qui perturbe son quotidien, y compris au travail. Mais ce trouble peut aussi être déclenché ou aggravé dans son quotidien au travail. Il est difficile d’imputer totalement à l’entreprise la responsabilité d’un burnout, car la sphère personnelle (problèmes de couples, addictions, troubles du sommeil…) interagit avec la sphère professionnelle, à la différence d’un cancer du poumon imputable à l’amiante, par exemple. Ainsi, la santé mentale relèverait de l’intime et l’entreprise ne serait pas concernée. Selon cette croyance, la qualité de vie au travail se résume à la mise en place de locaux accueillants, des paniers de fruits frais pour les collaborateurs… car leur santé mentale serait un problème extérieur à l’entreprise. Or, c’est faux, car préserver la santé mentale relève de l’obligation de l’employeur.
    Le problème est que par exemple, en cas de burnout, chacun se renvoie la balle avec une imputation au travail à 70%. Il est en effet très difficile de se dire que c’est pleinement “à cause du travail”, le personnel est en cause aussi, donc cette maladie n’est pas de la responsabilité de l’employeur. C’est pour cette raison que le burnout n’est pas classé comme un accident de travail psy parce qu’il n’est jamais imputable au travail à 100%. 67% des managers jugent que c’est un sujet relevant de la sphère personnelle quand 76% des managés jugent que c’est un sujet de l’entreprise.
  • L’entreprise a su s’emparer de sujets liés à la garde d’enfant (crèches), à la santé physique (abonnements sportifs) ou encore au bien manger (restauration d’entreprise de qualité). Il lui appartient également de prendre soin de la santé mentale des collaborateurs. L’article L. 4121-1 du Code du Travail est très clair : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. » L’employeur ne doit pas seulement diminuer le risque, mais l’empêcher.

4/Prendre soin de la santé mentale est un enjeu de responsabilité sociétale de l’entreprise

  • Soigner la qualité de vie et les conditions de travail est d’abord un facteur d’amélioration de la productivité de l’entreprise. Pour autant, les entreprises s’estimant peu impactées n’auraient pas à s’emparer du sujet ? Parce que la santé mentale est un enjeu fort de santé publique, il leur incombe de s’en saisir, au titre de leur responsabilité sociétale. A l’instar de leur prise de conscience récente sur l’environnement, il est donc urgent que les entreprises, aptes à déployer des solutions à grande échelle, s’engagent avec sincérité et désintérêt sur les terrains de la prévention, mais aussi de la promotion d’outils de diagnostic, de traitement et de suivi des troubles psy. Les entreprises à mission devraient s’emparer du sujet.

 

5/ Vaincre le tabou des troubles psychologiques

  • Seuls 7 % osent parler à leurs supérieurs et responsables des ressources humaines de leurs difficultés psychologiques ! Un tabou culturel persistant, par peur du jugement ou crainte d’une mise au placard ? Ou par méconnaissance du bien-être mental ? Sans doute une combinaison de ces raisons, qui empêche les salariés d’en parler à leur entourage professionnel.
  • La dépression est une vraie maladie. Les symptômes annonciateurs ? Extrême fatigue, blurring (effacement de la limite entre vie personnel et vie professionnelle), excès de stress et de pression, harcèlement, perte de motivation et de sens, désalignement avec les valeurs de l’entreprise, manque de confiance en soi, isolement, angoisses, perte de la peur de son emploi, perfectionnisme et anxiété de performance, manque d’organisation, manque de reconnaissance.
  • Les plus exposés sont les femmes ; les moins de 35 ans et les habitants des grandes agglomérations.

 

6/Des solutions de prévention existent

  • Une approche préventive, la plus individualisée possible est nécessaire. Pour cela, il faut faciliter l’accès à un panel d’outils numériques existants, permettant des actions sur-mesure, un suivi hors des murs et la garantie de données anonymisées et protégées.
  • Rallongement des temps de trajets, déséquilibres entre la vie privée et la vie professionnelle, management du quotidien : si les employeurs ont développé des politiques engagées et crédibles d’amélioration de la qualité de vie au travail, ce n’est pas suffisant pour traiter en profondeur cette distorsion intime entre les sphères privées et professionnelles. Les entreprises doivent prévenir la dégradation de l’état de santé mentale des individus y compris en veillant à la qualité du travail lui- même. Donner du sens à l’entreprise, c’est aussi le donner au travail de chacun, pour qu’il mesure en quoi il est utile mais surtout indispensable. C’est sensibiliser et former les managers, comme les dirigeants, à détecter et accompagner les premiers signes, à remettre régulièrement en question leur organisation comme leur management, en associant chaque individu à la construction de son environnement de travail physique et psychologique.
  • Les conditions de travail sont un axe aussi évident qu’insuffisant. Il faut aussi y associer et même faire passer en priorité la rénovation du fonctionnement du travail et de son management. Confiance et autonomie vont de pair dans le monde d’après (ou de maintenant), comme le contrôle et reporting faisaient bon ménage auparavant. Il faut par ailleurs repenser l’organisation et le temps du travail. Des expérimentations sont menées avec succès dès lors qu’elles lient, dans une même logique l’inclusion, la responsabilisation, la bienveillance et la prise en compte de la réalité de l’individu. Il faut aussi admettre que la génération post-COVID prend conscience des faiblesses et parfois des dérives du monde économiques ayant conduit, depuis 40 ans, à une confusion destructrice entre performance économique et reconnaissance sociale.
  • Les critères de réussite changent et l’épanouissement, comme l’émancipation, s’expriment aujourd’hui au-delà de la réussite professionnelle. On ne peut pas promouvoir l’importance des soft skills et oublier en même temps que la réussite est sociale et humaine, avant d’être financière et économique. Se concentrer sur l’humain dans l’entreprise est une manière de valoriser ce que l’individu est, en faisant le pari que cette reconnaissance conduira à la performance dans ce qu’il fait. En choisissant ce chemin de l’attention, de la prévention, de l’écoute et de la confiance dans l’individu, nous pourrons réconcilier les vies professionnelles et privées, en arrêtant d’essayer de seulement les équilibrer.
  • En faire une priorité́ RH deviendrait même un levier d’engagement et de rétention majeur : 85 % des salariés déclarent que leur fidélité́ à l’entreprise et leur motivation (86 %), seraient renforcées si leur entreprise mettait en place des actions concrètes pour favoriser le bien-être mental. Normaliser le partage des émotions, former les managers et outiller les salariés avec des solutions concrètes sera nécessaire pour changer la donne. De quoi redonner ses lettres de noblesse à la notion de travail, comme véritable accomplissement de soi ?
  • Des outils numériques existent : Applis Teale ; Moka.care ; Holivia ; Petit Bambou ; Mind ; Qare ; Mon Sherpa.
  • La formation aux Premiers Secours en Santé Mentale (PSSM) de 2 jours, équivalent en santé mentale des gestes de premiers secours qui apportent une aide physique à une personne en difficulté. Cette formation développe une méthode pour apprendre à aider, à laquelle plus 5 millions de personnes se sont formées dans le monde. Le programme a été lancé en France en 2019.
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